L’impératif de prudence : tabler sur une baisse drastique des exportations d’hydrocarbures à 2030
L’urgence de la diversification est dictée par la perspective de la fin des exportations des hydrocarbures, dont l’échéance est incertaine. Dans l’hypothèse raisonnable que cette date fatidique se rapproche et qu’à l’horizon 2030 nous n’exportions plus que la moitié de nos exportations actuelles d’hydrocarbures, il est plus qu’urgent que l’effort colossal que requiert la diversification de l’économie soit entamé immédiatement. Ce processus sera long et incertain. L’optique d’un contre-choc pétrolier ou la perspective de la fin des exportations d’hydrocarbures qui se profileraient autour de 2025-2030[1], représentent des scénarios extrêmement inquiétants pour notre pays, sa stabilité et sa cohésion sociale. Au-delà de l’ambition de développement et de prospérité, ce réveil économique relève en fait d’un impératif de stabilité et de sécurité nationale.
En supposant que le déclin actuel de la production de pétrole et de gaz s’interrompe rapidement grâce aux investissements en cours, les prévisions de croissance de la consommation interne d’énergie nous mènent inexorablement vers une baisse des exportations soutenue à partir de 2015 (figure). De 2% de baisse par an en moyenne entre 2015 et 2020, cette baisse s’accélérera entre 2020 et 2025 (-4%) et entre 2025 et 2030 (-7%). Selon ces hypothèses raisonnables, et sans découverte majeure, il est probable que les exportations d’hydrocarbures en 2030 aient baissé de moitié par rapport à 2012. Des scénarios plus pessimistes sont aussi possibles. Quant aux scénarios optimistes, nous nous devons de les ignorer pour ne pas prendre le risque d’engager la nation sur une trajectoire incertaine.
Cette baisse des exportations d’hydrocarbures pourrait être due à l’absence de découverte majeure ou de développement rapide d’autres sources d’énergie (gaz de schiste, solaire, etc.), combinée à la poursuite de la croissance de la consommation interne, diminuant ainsi les quantités exportables. Elle pourrait aussi être due à une baisse des prix mondiaux, notamment du gaz, à un moment où les technologies d’extraction d’hydrocarbures non conventionnels à fait des Etats-Unis le premier producteur mondial de gaz et de pétrole, et où la baisse de la croissance mondiale pourrait réduire la demande. Cette perspective est probable. Une hypothèse plus pessimiste l’est aussi. Notre conviction est qu’il est irresponsable aujourd’hui de tabler sur une hypothèse optimiste. Cette dernière est aussi probable, mais, dans ce domaine, notre passé douloureux nous impose de construire l’avenir de notre pays sans espérer être chanceux. Si une évolution plus positive se profilait et que notre avenir énergétique s’éclaircissait à nouveau, les prochaines générations pourront en bénéficier mais en étant assis sur une base économique plus saine et moins dépendante de notre sous-sol.
(i) Combine la production des gaz, de GNL, de PNL et de brut, net des volumes de gaz produits qui sont réinjectés dans les puits de pétrole, et net des pertes.
Où nous mènerait le statu quo ? L’iceberg en chiffres
Que se passera-t-il si rien n’est fait ? De simples projections sur la base du modèle économique actuel et de cette hypothèse prudente de l’évolution de notre secteur des hydrocarbures, et du maintien de la tendance actuelle des autres secteurs permettent d’entrevoir l’impasse économique dans laquelle nous nous trouvons depuis des années.
Pour maintenir le train de dépenses actuelles de l’Etat et de la part du budget d’investissement dans le budget de l’Etat (afin de maintenir un niveau élevé d’investissements publics, générateurs de croissance), le déficit budgétaire continuera à se creuser au fil des ans et finira par vider le Fonds de Régulation des Recettes avant 2020. Ce Fonds où sont venus s’accumuler les surplus budgétaires depuis sa mise en place en 2003, pour atteindre plus de 4000 milliards de DA fin 2012, constitue la réserve de l’Etat pour faire face aux années de « vaches maigres » et aux aléas des marchés pétroliers. En continuant à dépenser plus que ce qu’il ne collecte comme recettes fiscales, et sans changer de modèle économique ou de politique fiscale et budgétaire, l’Etat aura consommé toute cette « tirelire » dans 5 ou 6 ans. Après cela, les déficits budgétaires iront accroître la dette de l’Etat qui, de moins de 1400 milliards de DA en 2012 (9% du PIB), pourrait atteindre près de 3.000 milliards de DA en 2020 (16% du PIB), puis près de 25% du PIB à l’horizon 2030.
Quant aux réserves de change (près de $200 milliards fin 2012), elles commenceront à baisser à partir de 2016 quand la croissance non contenue des importations et la baisse des exportations d’hydrocarbures nous mèneront à des déficits commerciaux structurels. Ces réserves de change risquent de s’épuiser autour de 2024, ce qui nous obligera à nous endetter pour financer nos déficits commerciaux. La dette extérieure, que l’Etat a prudemment remboursée en quasi-totalité en 2005, pourrait alors atteindre plus de $150 milliards en 2027 et plus de $300 milliards autour de 2030 si les importations continuent à croitre. Cette tendance nous ramènerait ainsi à des niveaux de dette extérieure non soutenables, comparables à ceux atteints au début des années 1990 et qui nous ont forcés à l’époque d’entreprendre des ajustements très douloureux sur le plan social.
Sans un hypothétique renouveau de notre potentiel d’exportation d’hydrocarbures, cette perspective peu réjouissante est malheureusement probable si rien n’est fait. Une alternative à l’explosion de l’endettement de l’Etat serait bien entendu une baisse drastique des dépenses de l’Etat, un plan d’austérité coûteux, une dévaluation du dinar pour juguler les importations, et une baisse brutale des subventions énergétiques. Ce scénario désastreux pourrait devoir survenir à la fin des années 2020 (voir figure). Il peut être évité en amorçant rapidement le virage que doit prendre notre économie.
Pour aller plus loin dans votre lecture, lire le chapitre économie du rapport NABNI 2020